PETIT RAPPEL HISTORIQUE
Tandja a été renversé le 18 février 2010 après avoir
opérer un coup d’Etat constitutionnel pour se maintenir au pouvoir. Quelques
temps après, plusieurs dignitaires de son régime (ex-ministres, acteurs
politiques et directeurs généraux) ont été arrêtés à l’issue d’investigations
policières parce que soupçonnés de mener des ''activités subversives'' visant à
''déstabiliser le régime de la transition''. Ils ont été au total plus d'une
quinzaine gardés à la Compagnie nationale de sécurité avant d'être présentés à
un juge.
Le ministre de l'Intérieur avait publié un communiqué pour mettre en garde
''certains individus'' qui ''sous couvert d'associations ou groupes d'intérêts,
s'évertuent à transformer les podiums des médias et autres en tribunes
d'expression, d'opinions et d'idées qui ne visent que la promotion d'intérêts
égoïstes, sans aucune considération des aspirations profondes de l'écrasante
majorité des populations nigériennes''…. ''L'Etat ne saurait dorénavant tolérer
que ces pratiques viennent saper les efforts que déploie le CSRD pour
réconcilier les Nigériens entre eux et poser les jalons d'une nouvelle ère pour
les laborieuses populations du Niger. (…) que sous couvert d'apporter leur
contribution dans le débat qui préoccupe la nation, des individus s'acharnent à
perpétuer par leurs dires, leurs écrits et leurs comportements les dérives qui
ont plongé le pays dans la situation de tension bien connue, cela ne saurait
perdurer'' … ''Tout acte, toute opinion de nature à perturber la tranquillité
et le bon ordre public seront à compter de ce jour punis conformément aux lois
et règlements de la République''.
Au Burkina Faso, cela semble être le contraire. Les autorités
de la transition ne paraissent pas avoir le courage nécessaire de voir au-delà
de « l’activisme d’individus au nom de partis politiques qui, en réalité, n’ont
aucune existence officielle ». Cet attentisme a fait en sorte que des gens ont
tôt fait d’enjamber des cadavres pour parler de démocratie sans justice! Des
gens qui ont ordonné de tirer sur le peuple se promènent impunément ! Nous
sommes un pays exceptionnel qui donne aux pires criminels le droit de se
présenter aux élections. C’est vrai que nous avions déjà eu un Ousmane Guiro
conseiller municipal, un Hyacinthe Kafando député et un Blaise Compaoré président.
Ainsi donc personne ne respecte les morts dans ce pays ?
On aurait pu s’en douter au vu de nos cimetières qui ressemblent plus à
dépotoirs. Des gens sont morts pour défendre notre constitution et nous nous
montrons incapables d’honorer leur mémoire en empêchant leurs bourreaux de les
narguer ? Ce qu’il se passe n’est plus ni moins que du cynisme politique
parce que nous renions une valeur africaine qui est le respect des morts.
AUTRE RAPPEL HISTORIQUE
Élie Domota, descendant d’esclave guadeloupéen et porte
parole du LKP a adressé une lettre ouverte à François Hollande le 21 janvier
2015 : « Nous sommes dans la même situation, après l’abolition de
l’esclavage, qui a guidé à la promulgation de la loi d’indemnisation des colons
de 1849. Rappelez-vous : ce sont les esclavagistes « spoliés » pour avoir perdu
leur cheptel de nègres qui ont été indemnisés et non les esclaves. Au regard de
ces textes, l’esclavage était donc une bonne chose. Pas étonnant que notre «
droit à réparation » soit cantonnée à la mémoire (genre Mémorial Acte) et les
indemnisations, les terres et les autres richesses dévolues aux esclavagistes
et à leurs descendants. »
Serait-ce la même chose au Burkina Faso après
l’insurrection ? Les dignitaires du régime Compaoré seront-ils dédommagés pour
avoir échoué à modifier la constitution? Vont-ils conserver leurs biens mal
acquis ?
Allons-nous tomber dans le piège du CDP et ses alliés
dont la stratégie actuelle est de faire en sorte de banaliser ce qu’il s’est
passé le 30 et le 31 octobre ? Bientôt nous les entendrons raconter que
« le CDP a été victime d’injustice. La constitution permettait de modifier
la constitution, ce sont plutôt les voyous de la société civile et de
l’opposition qui ont réalisé un coup d’État, fait suspendre la constitution,
fabriqué une charte sur mesure et maintenant ils veulent exclure une partie de
la population ».
LE TRAQUENARD
Beaucoup d’entre vous se sont moqués de Soumane Touré
lorsque le 23 décembre 2014, il affirmait : « Depuis le
coup d’Etat du 1er novembre 2014, le Lt colonel ZIDA et toute sa clique toute
la haute hiérarchie de l’Armée qui a accepté leur coup d’Etat qui a dissout
l’Assemblée Nationale et suspendu la constitution, ont commis le grave crime
d’atteinte à la constitution et doivent être jugés et punis. » … « Doivent
être jugés et punis également leurs complices … tous les dirigeants des partis
politiques affiliés au CFOP, … tous les dirigeants des organisations de la
société civile … tous les membres des organes de la transition y compris tout
le gouvernement … les membres du CNT… » http://www.lefaso.net/spip.php?article62444
Non, Soumane Touré n’est pas fou, il annonçait simplement
le plan de riposte du régime Compaoré. Sachons lier entre les lignes. La première phase du plan consiste à consacrer l’impunité.
La stratégie est de faire accepter la candidature des anciens compagnons de
Blaise Compaoré surtout ceux qui sont fortement impliqués dans le projet de
révision de l’article 37 et qui sont liés aux ordres qui ont été donnés de réprimer
la population et qui ont abouti à la mort de plusieurs personnes. Ils travaillent
à ce que les gens acceptent le principe de ne pas s’opposer, que les gens
pardonnent et donnent leur "chance" à tout le monde aux prochaines élections.
Et beaucoup, naïvement confiants se disent : « la
jeunesse est devenue consciente … les gars du CDP sont finis … nous allons les
battre démocratiquement dans les urnes … ils ne peuvent pas gagner donc
laissons-les se présenter » !
C’est ça le piège ! Vous êtes tellement sûr de
gagner que vous voulez tenter le diable ? L’orgueil vous perdra. Il ne
s’agit pas ici d’être fair play. De la même manière que vous ne conseilleriez
pas à votre meilleur ami de tester sa femme en laissant tout le quartier lui
faire la cour simplement parce qu’il lui fait confiance, évitez de tels paris
risqués avec des gens qui ont géré un pays pendant 27 ans. Ce serait une grave
erreur.
Ceux qui voudraient aller aux élections à tout prix et
dans n’importe quelle condition, gardez à l’esprit cette mise en garde de Noam Chomsky : "Elections are run by the Public Relations industry,
which markets candidates much as it markets commodities in TV ads. The goal of
marketing is to create uninformed consumers making irrational choices, thus to
undermine the markets we are taught to revere, in which informed consumers make
rational choices. The same techniques are used to undermine democracy. "
Non, vous en croyez rien ? Ce serait de
l’exclusion ?
DISCRIMINATION POSITIVE
Alors que l’on m’explique pourquoi, selon la charte, tout
candidat aux fonctions de Président de la transition devrait remplir jusqu’à 12
conditions dont celui de n’avoir pas soutenu le projet de révision de l’article
37 de la Constitution ainsi que les membres du gouvernement et les membres du
CNT. Ce n’est pas de l’exclusion ça ?
Aux Etats-Unis, tout candidat à l’élection présidentielle
doit être âgé de plus de 35 ans, être citoyen des États-Unis à la naissance, avoir
résidé aux États-Unis pendant au moins 14 ans. Ce n’est pas de l’exclusion
ça ?
En Côte d’Ivoire, tout candidat à l’élection
présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante-quinze ans
au plus. Il doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes
ivoiriens d’origine. Il doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue
pendant les cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix
ans de présence effective. Ce n’est pas de l’exclusion ça ?
Au Burkina, tout candidat aux fonctions de Président du
Faso doit être âgé de trente-cinq ans au moins et de soixante-quinze ans au
plus. N’avoir jamais été condamné pour fraude électorale ou emprisonné plus de
3 mois, déposer une caution de dix millions de francs. Ce n’est pas de
l’exclusion ça ?
Tout ce que nous demandons, puisque que les partisans du
régime déchu n’ont pas l´honnêteté intellectuelle de laisser la place à
d´autres et de se mettre en retrait, c’est l’interdiction à toute personne
concernée par une procédure judiciaire pour « atteinte à la constitution » de participer
aux prochaines compétitions électorales.
C’est discriminatoire ? Oui. Mais c’est légitime et
moralement soutenable.
TANT QU’A FAIRE, BANALISONS
Ceux qui considèrent que nous sommes entrés dans une
phase de normalisation et qu’il faut tourner la page, qu’ils m’expliquent ce
qui a changé : y a-t-il eu des poursuites ? Des procès ? Des
excuses publiques sincères, des repentirs ? Tant que nous y sommes et puisque rien ne semblent s’être
passé le 30 octobre 2014, contestons la charte de la transition. Rétablissons
les conseils municipaux. Annulons tous les changements à la tête des
ministères, des directions, des régions …
Si Assimi Kouanda, Norbert Gilbert Ouedraogo, Hermann
Yameogo, Toussaint Abel Coulibaly,
Maxime kaboré … ne
sont pas candidats le 11 octobre 2015, ça fait quoi ? Le monde va s’arrêter
de tourner ?
J’entends d’ici des gens rétorquer que le MPP, oui et le
MPP ? Pourquoi bloquer les gens du CDP et laisser les gens du MPP ?
Ils sont même chose ! Autant de manœuvres dilatoires …
Je dis simplement que Blaise Compaoré et ses ministres
ont décidé de modifier la constitution par tous les moyens le 21 octobre 2014. Ils
étaient prêts à tuer les nombreux burkinabè qui se mettraient en travers de
leur chemin. Beaucoup de nos frères et sœurs sont morts. Parce que ce crime-là
était flagrant et ignoble, parce que c’est ce crime qui justifie en grande partie
le régime de la transition, ce crime-là ne doit pas et ne peut pas rester
impuni. Blaise Compaoré veut reprendre le pouvoir d'une manière ou d’une autre à
travers ceux qui lui sont restés loyaux. S’ils reviennent au pouvoir, notre
sécurité ne sera pas garantie nous qui avons été en première ligne de la
contestation.
Si l’un quelconque des proches de Blaise Compaoré
concerné par la répression des manifestants et le soutien affiché à la
modification de l’article 37 est autorisé, sans un début de justice, à
présenter sa candidature pour les élections à venir, je mettrai le feu à ma
carte d’électeur. Je ne risque rien à le faire puisque le vote n’est pas
obligatoire au Burkina Faso.