lundi 2 février 2015

CE N’EST PAS LE MOMENT DE JOUER AVEC LE FEU


PETIT RAPPEL HISTORIQUE 

Tandja a été renversé le 18 février 2010 après avoir opérer un coup d’Etat constitutionnel pour se maintenir au pouvoir. Quelques temps après, plusieurs dignitaires de son régime (ex-ministres, acteurs politiques et directeurs généraux) ont été arrêtés à l’issue d’investigations policières parce que soupçonnés de mener des ''activités subversives'' visant à ''déstabiliser le régime de la transition''. Ils ont été au total plus d'une quinzaine gardés à la Compagnie nationale de sécurité avant d'être présentés à un juge.

Le ministre de l'Intérieur avait publié un communiqué pour mettre en garde ''certains individus'' qui ''sous couvert d'associations ou groupes d'intérêts, s'évertuent à transformer les podiums des médias et autres en tribunes d'expression, d'opinions et d'idées qui ne visent que la promotion d'intérêts égoïstes, sans aucune considération des aspirations profondes de l'écrasante majorité des populations nigériennes''…. ''L'Etat ne saurait dorénavant tolérer que ces pratiques viennent saper les efforts que déploie le CSRD pour réconcilier les Nigériens entre eux et poser les jalons d'une nouvelle ère pour les laborieuses populations du Niger. (…) que sous couvert d'apporter leur contribution dans le débat qui préoccupe la nation, des individus s'acharnent à perpétuer par leurs dires, leurs écrits et leurs comportements les dérives qui ont plongé le pays dans la situation de tension bien connue, cela ne saurait perdurer'' … ''Tout acte, toute opinion de nature à perturber la tranquillité et le bon ordre public seront à compter de ce jour punis conformément aux lois et règlements de la République''.

Au Burkina Faso, cela semble être le contraire. Les autorités de la transition ne paraissent pas avoir le courage nécessaire de voir au-delà de « l’activisme d’individus au nom de partis politiques qui, en réalité, n’ont aucune existence officielle ». Cet attentisme a fait en sorte que des gens ont tôt fait d’enjamber des cadavres pour parler de démocratie sans justice! Des gens qui ont ordonné de tirer sur le peuple se promènent impunément ! Nous sommes un pays exceptionnel qui donne aux pires criminels le droit de se présenter aux élections. C’est vrai que nous avions déjà eu un Ousmane Guiro conseiller municipal, un Hyacinthe Kafando député et un Blaise Compaoré président.
Ainsi donc personne ne respecte les morts dans ce pays ? On aurait pu s’en douter au vu de nos cimetières qui ressemblent plus à dépotoirs. Des gens sont morts pour défendre notre constitution et nous nous montrons incapables d’honorer leur mémoire en empêchant leurs bourreaux de les narguer ? Ce qu’il se passe n’est plus ni moins que du cynisme politique parce que nous renions une valeur africaine qui est le respect des morts.

AUTRE RAPPEL HISTORIQUE

Élie Domota, descendant d’esclave guadeloupéen et porte parole du LKP a adressé une lettre ouverte à François Hollande le 21 janvier 2015 : « Nous sommes dans la même situation, après l’abolition de l’esclavage, qui a guidé à la promulgation de la loi d’indemnisation des colons de 1849. Rappelez-vous : ce sont les esclavagistes « spoliés » pour avoir perdu leur cheptel de nègres qui ont été indemnisés et non les esclaves. Au regard de ces textes, l’esclavage était donc une bonne chose. Pas étonnant que notre « droit à réparation » soit cantonnée à la mémoire (genre Mémorial Acte) et les indemnisations, les terres et les autres richesses dévolues aux esclavagistes et à leurs descendants. »

Serait-ce la même chose au Burkina Faso après l’insurrection ? Les dignitaires du régime Compaoré seront-ils dédommagés pour avoir échoué à modifier la constitution? Vont-ils conserver leurs biens mal acquis ? 

Allons-nous tomber dans le piège du CDP et ses alliés dont la stratégie actuelle est de faire en sorte de banaliser ce qu’il s’est passé le 30 et le 31 octobre ? Bientôt nous les entendrons raconter que « le CDP a été victime d’injustice. La constitution permettait de modifier la constitution, ce sont plutôt les voyous de la société civile et de l’opposition qui ont réalisé un coup d’État, fait suspendre la constitution, fabriqué une charte sur mesure et maintenant ils veulent exclure une partie de la population ».

LE TRAQUENARD

Beaucoup d’entre vous se sont moqués de Soumane Touré lorsque le 23 décembre 2014, il affirmait :  « Depuis le coup d’Etat du 1er novembre 2014, le Lt colonel ZIDA et toute sa clique toute la haute hiérarchie de l’Armée qui a accepté leur coup d’Etat qui a dissout l’Assemblée Nationale et suspendu la constitution, ont commis le grave crime d’atteinte à la constitution et doivent être jugés et punis. » … « Doivent être jugés et punis également leurs complices … tous les dirigeants des partis politiques affiliés au CFOP, … tous les dirigeants des organisations de la société civile … tous les membres des organes de la transition y compris tout le gouvernement … les membres du CNT… » http://www.lefaso.net/spip.php?article62444

Non, Soumane Touré n’est pas fou, il annonçait simplement le plan de riposte du régime Compaoré. Sachons lier entre les lignes. La première phase du plan consiste à consacrer l’impunité. La stratégie est de faire accepter la candidature des anciens compagnons de Blaise Compaoré surtout ceux qui sont fortement impliqués dans le projet de révision de l’article 37 et qui sont liés aux ordres qui ont été donnés de réprimer la population et qui ont abouti à la mort de plusieurs personnes. Ils travaillent à ce que les gens acceptent le principe de ne pas s’opposer, que les gens pardonnent et donnent leur "chance" à tout le monde aux prochaines élections.

Et beaucoup, naïvement confiants se disent : « la jeunesse est devenue consciente … les gars du CDP sont finis … nous allons les battre démocratiquement dans les urnes … ils ne peuvent pas gagner donc laissons-les se présenter » !

C’est ça le piège ! Vous êtes tellement sûr de gagner que vous voulez tenter le diable ? L’orgueil vous perdra. Il ne s’agit pas ici d’être fair play. De la même manière que vous ne conseilleriez pas à votre meilleur ami de tester sa femme en laissant tout le quartier lui faire la cour simplement parce qu’il lui fait confiance, évitez de tels paris risqués avec des gens qui ont géré un pays pendant 27 ans. Ce serait une grave erreur.

Ceux qui voudraient aller aux élections à tout prix et dans n’importe quelle condition, gardez à l’esprit cette mise en garde de Noam Chomsky : "Elections are run by the Public Relations industry, which markets candidates much as it markets commodities in TV ads. The goal of marketing is to create uninformed consumers making irrational choices, thus to undermine the markets we are taught to revere, in which informed consumers make rational choices. The same techniques are used to undermine democracy. "

Non, vous en croyez rien ? Ce serait de l’exclusion ?

DISCRIMINATION POSITIVE

Alors que l’on m’explique pourquoi, selon la charte, tout candidat aux fonctions de Président de la transition devrait remplir jusqu’à 12 conditions dont celui de n’avoir pas soutenu le projet de révision de l’article 37 de la Constitution ainsi que les membres du gouvernement et les membres du CNT. Ce n’est pas de l’exclusion ça ?

Aux Etats-Unis, tout candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de plus de 35 ans, être citoyen des États-Unis à la naissance, avoir résidé aux États-Unis pendant au moins 14 ans. Ce n’est pas de l’exclusion ça ?

En Côte d’Ivoire, tout candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante-quinze ans au plus. Il doit être Ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine. Il doit avoir résidé en Côte d’Ivoire de façon continue pendant les cinq années précédant la date des élections et avoir totalisé dix ans de présence effective. Ce n’est pas de l’exclusion ça ?

Au Burkina, tout candidat aux fonctions de Président du Faso doit être âgé de trente-cinq ans au moins et de soixante-quinze ans au plus. N’avoir jamais été condamné pour fraude électorale ou emprisonné plus de 3 mois, déposer une caution de dix millions de francs. Ce n’est pas de l’exclusion ça ?

Tout ce que nous demandons, puisque que les partisans du régime déchu n’ont pas l´honnêteté intellectuelle de laisser la place à d´autres et de se mettre en retrait, c’est l’interdiction à toute personne concernée par une procédure judiciaire pour « atteinte à la constitution » de participer aux prochaines compétitions électorales.

C’est discriminatoire ? Oui. Mais c’est légitime et moralement soutenable.

TANT QU’A FAIRE, BANALISONS

Ceux qui considèrent que nous sommes entrés dans une phase de normalisation et qu’il faut tourner la page, qu’ils m’expliquent ce qui a changé : y a-t-il eu des poursuites ? Des procès ? Des excuses publiques sincères, des repentirs ? Tant que nous y sommes et puisque rien ne semblent s’être passé le 30 octobre 2014, contestons la charte de la transition. Rétablissons les conseils municipaux. Annulons tous les changements à la tête des ministères, des directions, des régions …

Si Assimi Kouanda, Norbert Gilbert Ouedraogo, Hermann Yameogo, Toussaint Abel Coulibaly, Maxime kaboré … ne sont pas candidats le 11 octobre 2015, ça fait quoi ? Le monde va s’arrêter de tourner ?

J’entends d’ici des gens rétorquer que le MPP, oui et le MPP ? Pourquoi bloquer les gens du CDP et laisser les gens du MPP ? Ils sont même chose ! Autant de manœuvres dilatoires …

Je dis simplement que Blaise Compaoré et ses ministres ont décidé de modifier la constitution par tous les moyens le 21 octobre 2014. Ils étaient prêts à tuer les nombreux burkinabè qui se mettraient en travers de leur chemin. Beaucoup de nos frères et sœurs sont morts. Parce que ce crime-là était flagrant et ignoble, parce que c’est ce crime qui justifie en grande partie le régime de la transition, ce crime-là ne doit pas et ne peut pas rester impuni. Blaise Compaoré veut reprendre le pouvoir d'une manière ou d’une autre à travers ceux qui lui sont restés loyaux. S’ils reviennent au pouvoir, notre sécurité ne sera pas garantie nous qui avons été en première ligne de la contestation. 

Si l’un quelconque des proches de Blaise Compaoré concerné par la répression des manifestants et le soutien affiché à la modification de l’article 37 est autorisé, sans un début de justice, à présenter sa candidature pour les élections à venir, je mettrai le feu à ma carte d’électeur. Je ne risque rien à le faire puisque le vote n’est pas obligatoire au Burkina Faso.

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