dimanche 17 avril 2016

CHRONIQUE D'UNE RÉCONCILIATION MAL INSPIRÉE

Le constat accablant est que l'illusionnisme politique est de retour au Faso. La politique politicienne a repris ses droits et les méthodes n'ont pas évolué. Le round d'observation est terminé, la refondation au sein des différents camps tourne à plein régime et il n'est pas question de lésiner sur les coups tordus.


Nous sommes témoins d'une série inédite de libérations dans le cadre des procédures sur le coup d’État du général Diendéré, sur les mises en accusation par la haute cour de justice et sur la gestion des lotissements par les anciens maires. A ces libertés provisoires sont assortis le dégel des comptes bancaires placés sous contrôle judiciaire au lendemain du coup d’État. Une levée tacite, puisque le juge militaire n’a pas communiqué. La mesure avait une durée de six mois, mais n’a pas été renouvelée.

Autre coïncidence troublante, les subventions publiques au profit des partis politiques incriminées pourront donc être reçues et dépensées en toute quiétude sous le prétexte de l'animation de la vie publique.

Tout ceci se déroule pendant que le régime de la transition est trainée jusqu'à son "Golgotha" et crucifiée devant une opinion publique qui applaudit des deux mains en se délectant de la déchéance de l'ancien premier ministre Zida.

Roch Marc Christian Kaboré, le nouveau président a en effet commandité des audits, annulé tous les marchés de gré à gré passés par le gouvernement en fin de transition, annulé la nomination de Zida comme ambassadeur aux USA et sommé ce dernier de rejoindre la caserne. Des soupçons de deals de parcelles et de blanchiment d'argent complètent le tableau. Pour couronner le tout, des voix s'élèvent pour que Zida et son gouvernement soient mis en accusation devant la haute cour de justice afin de répondre de leur gestion.

Face à ces événements ponctuée de rebondissements, beaucoup d'observateurs estiment qu'une opération politicienne est en cours pour une réinitialisation, un reformatage de l'environnement sociopolitique. Un nivellement des acquis des récentes luttes de masse serait en train de s'opérer en ciblant les consciences populaires. Pour faire simple, l'insurrection et la transition doivent être mises entre parenthèses afin que triomphe la "réconciliation nationale". Une chasse aux sorcières généralisée doit être évitée à tout prix.

Mais pour réussir ce tour de force, le régime actuel devrait réunir plusieurs conditions :

CAPORALISER LA JUSTICE :
Est-il possible que le pouvoir judiciaire puisse continuer à être régenté par l'exécutif et accepte de bâcler les procédures judiciaires dans le cadre des dossiers de crimes de sang (Sankara, Dabo, Zongo ...) et de crimes économiques (dont le régime actuel est comptable) qui ont jalonné l'ère Compaoré, l'insurrection populaire, le putsch, la transition y compris?
Si la justice est réellement indépendante, ces "trop de casseroles qui trainent", ces "trop de cadavres dans trop de placards" depuis bientôt 30 ans vont être traités à fond, sans états d'âme indépendamment de la position sociale ou politique des éventuels mis en cause (anciens maires, députés, ministres, chefs coutumiers, officiers de l'armée, opérateurs économiques ...)
Comme on le voit, dans l'un ou l'autre cas, une justice inféodée (avec les risques à termes d'un nouveau soulèvement populaire) est tout aussi dangereuse pour le pouvoir actuel qu'une justice affranchie (avec pour risques l'entrave de l'action du gouvernement. Cf. la grave crise politique actuelle au Brésil).

NOYAUTER L'OPPOSITION POLITIQUE :
Des manœuvres pour affaiblir le CFOP sont-elles au programme? Il serait par ailleurs intéressant d'observer la manière dont l'opposition triphasée va converger ou voler en éclats lorsqu'il s'agira de demander ou non des comptes à la composante CDP-NAFA-ADF-UBN en vertu des procédures judiciaires enclenchées sous la transition y compris contre l'ancien président Compaoré. Quelle est la position de l'UPC et de l'aile de gauche (rescapée du CNT) sur la question? Le mémorandum des 100 jours de Roch Kaboré par le CFOP est équivoque sur la question.

NEUTRALISER LES SYNDICATS :
Pour le moment, l'une des argumentations fortes du front syndical consiste a exprimer de l'incompréhension face à l'impunité dont continuent de jouir les délinquants à col blanc et dont la saisie des biens mal acquis suffirait à renflouer les caisses de l’État. Le gouvernement a encore du pain sur la planche face à Bassolma et ses troupes qui menacent à tout moment d'engager un "mot d'ordre de grève en réaction au mépris et au dilatoire du gouvernement concernant la mise en œuvre des 19 points d'engagements contenus dans le communiqué final de la rencontre gouvernement/syndicats de l'année 2015."

MUSELER LES OSC (RENLAC, MBDHP, BALAI CITOYEN ...) :
Sans surprise, le contrôle et la veille citoyenne devraient pouvoir s'exercer librement et sans contraintes majeures. Aucun deal politique dans le dos du peuple et au détriment de ses intérêts ne sera accepté.

TENIR L’ARMÉE EN LAISSE :
On observe des manipulations grossières de l'opinion publiques sur de prétendues tensions internes à l'armée. Cette stratégie vise à pousser le président du Faso à garder le statut quo et conserver en l'état la hiérarchie militaire qui n'a que peu varié depuis les derniers temps du régime Compaoré et qui s'est jusque là montrée assez docile vis-à-vis des pouvoirs politiques successifs y compris le CND. Il serait toutefois intéressant d'examiner l'attitude des officiers actifs pendant la résistance et celle des chefs de corps qui ont marché sur Ouaga courant septembre 2015 en réaction au putsch et en dehors des règles habituels d'engagement. En quoi une réconciliation au forceps peut-elle créer des étincelles au sein de la grande muette?

CONTENIR SES PROPRES TROUPES :
Le régime devra également composer avec les dissensions internes (les militants mal récompensés ...), une majorité parlementaire d'intérêt et les éventuelles divergences idéologiques (entre le PF Roch et le PAN Salifou notamment). L'erreur à éviter, c'est que la majorité présidentielle se comporte en rouleau compresseur en vue du règne de la pensée unique.

Cette théorie de réconciliation politique forcée, si elle est mise en œuvre, va occulter la vraie réconciliation qui est sociale et qui concerne davantage des centaine de milliers de jeunes désœuvrés plutôt qu'un groupuscule de politiciens en fin de parcours. L’État doit se réconcilier avec l'école publique. L’État doit réconcilier agriculteurs et éleveurs pour mettre un terme aux conflits meurtriers récurrents. L’État doit réconcilier les jeunes avec le monde de l'emploi. C'est cela la réconciliation véritable qui va assurer une cohésion nationale durable et elle ne se fera pas avec un gouvernement laxiste lorsque des populations saccagent une gendarmerie et assassinent un détenu ou lorsque des élèves dévastent des biens publics et privés et chassent leurs enseignants.

Tous les incivismes se valent par ailleurs et lorsqu'on voit les fêtes somptueuses qui accompagnent les libérations des "détenus politiques", on a de la peine à croire que certains puissent faire preuve de remords et changer leurs habitudes chevillées dans un incivisme institutionnel.

Si le jeune Timothée Lompo, du lycée Nagaré de Logobou, qui a trouvé bon de vandaliser et d'agresser ses enseignants se trouve un bon avocat, il n'y a pas de raisons qu'il ne bénéficient pas des mêmes faveurs en terme de liberté provisoire que Django, le koglweogo de Fada.

Voici là quelques unes des implications les plus inattendues de la réconciliation politique à pas forcés. Mais tant qu'elle reste une théorie, il n'y a pas lieu de s'alarmer n'est-ce pas?

https://www.facebook.com/ouedraogo.souleymane.Basic.Soul/posts/10209006390587057

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